l'œil absent n'est pas un regard vide, de Florian Huet

« L’œil absent n’est pas un regard vide » est une bande dessinée composée de 18 feuilles découpées.

Note de l'autaire :

Le premier prototype a été réalisé en 2009. J’étais alors un tout jeune étudiant sorti de sa campagne qui venait de découvrir quelques bribes d’art soviétiques, quelques images de différents courants des années 20 en URSS : Constructivisme, Suprématisme, Productivisme.
Sans en identifier les causes, j’étais particulièrement sensible aux peintures de Kasimir Malevitch, notamment ses formes géométriques noires sur fond blanc.

Motivé par cet intérêt, j’ai fait une petite bande dessinée avec une grande case noire qui se divise de planche en planche pour former une grille qui sert ensuite de canevas à des agencements de formes enchevêtrées (à la manière d’une sorte de Tetris), et puis au sein de chaque planche l’espace blanc prend de plus en plus de place.
C’était une façon d’imiter de manière très primaire l’aspect des peintures de Malevitch avec un outil que je pratique (la BD) pour essayer de les comprendre. Ça n’a pas été très éclairant mais ça m’a donné l’idée du prototype de « l’œil absent » en remplaçant les formes noires par des découpes.

Ce livre de découpes, réalisé à la main à un exemplaire a été bien accueilli par le corps enseignant qui a alors produit différents discours, notamment 2 assez proches : il s’agit d’une approche « conceptuelle » de la bande dessinée / il s’agit de la mise en lumière des « codes » de la bande dessinée.

Ces 2 discours considèrent que dans ce livre les images ont été retirées pour faire un commentaire sur la bande dessinée. On m’avait dit un peu les mêmes choses pour les peintures de Malevitch : l’abstraction servait à faire un commentaire sur la peinture, exposer les « codes » de la peinture (forme, couleur, matière, etc.).

Ces gens semblaient savoir de quoi ils parlent, j’ai gardé pour moi l’insatisfaction que m’évoquait ces 2 interprétations et pendant longtemps j’ai cru que c’était bien de ça qu’il s’agissait.
Bien des années après, ayant trébuché sur un exemplaire du Capital de Marx et accepté mon origine sociale modeste et ma place de prolétaire dans l’organisation du mode de production capitaliste, j’ai réinterrogé ces choses que l’on m’avait enseigné. J’ai commencé à m’intéresser à l’URSS, aux courants artistiques post-révolutionnaires, j’ai commencé à lire ce que disaient Kasimir Malévitch, Varvara Stepanova, Lioubov Popova, Alexandre Rodtchenko, et les autres.

J’ai alors découvert qu’on avait omis quelques éléments décisifs : ces artistes pensaient leurs œuvres comme participantes à la révolution communiste et à la prise du pouvoir par le prolétariat. L’enjeu était alors de savoir quoi faire de la culture bourgeoise désormais renversée et comment jeter les bases d’une culture prolétarienne. Il n’était pas question d’approche « conceptuelle » mais bien de politique, de ne plus penser le monde (et donc la peinture, l’art, la culture) à partir du palais mais à partir de l’usine. Dans ce contexte, pour les différents courants de peinture abstraite qui émergent il s’agissait de reléguer la peinture figurative individualiste bourgeoise au placard pour créer une peinture pensée depuis le travail dans les usines ou dans les champs, une peinture non pas « abstraite » mais matérialiste.

Malheureusement le capitalisme a gagné la bataille du 20e siècle et ces artistes ont vu leur mémoire et leurs œuvres bafouées par la bourgeoisie, vidées de leurs espoirs politiques, enfermées dans des interprétations qui les contredisent et les nient.


Au fil de ces années quelques personnes insistaient régulièrement pour que je réédite cette bédé et j’étais pris dans un dilemme entre l’envie de contenter ces personnes et mes réticences à voir inéluctablement ce travail récupéré par des discours issus de la culture bourgeoise. Car, non, ce n’est pas une BD dont j’ai retiré les images, ce n’est pas une bande dessinée sans images, c’est une bédé avec des images produites par d’autres moyens.

Pour dépasser ce dilemme, j’ai décidé de la rééditer avec quelques ajouts, sans doute dérisoires mais importants pour moi.
Ces éléments sont : la description d’une procédure d’ablation de l’œil en début de livre, le schéma de l’opération en fin de livre, le titre « l’œil absent n’est pas un regard vide ».

Ces éléments pour insister sur la violence de retirer des images, de retirer leur sens aux images. Je pense à la culture bourgeoise qui a retiré leurs sens aux avant-gardes soviétiques et se pavane avec leurs cadavres. Je pense à cette même culture qui plus largement retire de l’histoire les images et la mémoire du prolétariat, du mouvement ouvrier, des colonisé.es, des exploité.es.


Trop souvent, cette violence larvée s’incarne très matériellement et ce sont des yeux bien vivants que les LBD ferment définitivement.
Mais vraiment ces yeux absents-là ne sont pas des regards vides.

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Informations techniques :

format : 17.2 x 24 cm
nombre de pages : 40
impression : laser noir et blanc sur papier Clairefontaine DCP ivoire 100 g/m² et découpe sur papier Fedrigoni Arcoprint Milk White 120 g/m² pour l'intérieur, gravure sur Fedrigoni Arcoprint Edizioni 1.3 Avorio 270 g/m²-300 g/m² pour la couverture
nombre d'exemplaires : 189

date de sortie : mai 2018
prix : 15€
ISBN : 978-2-9559805-1-4

FRAIS DE PORT :

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